Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 1 mai 2010

Le récit d'enfance d'Annie Salager

L’enfance a toujours occupé une place importante chez les poètes. Avec La muette et la prune d’ente Annie Salager nous fait partager la sienne dans un récit d’une rare densité, traversé par une écriture fine et baignée de lumière. Je lui ai posé quelques questions sur ce livre qui nous fait en quelque sorte remonter jusqu’à la source de son œuvre poétique.

Annie Salager, vous nous livrez un récit sans fard sur ce que fut votre enfance entre deux et douze ans. Quelle était votre intention initiale dans l’écriture de cette première période de votre vie ?

Annie Salager : J'avais envie d'éclaircir depuis longtemps quelques souvenirs épars d'une enfance morcelée, sans liens cohérents. Et le désir – récurrent - de dire la beauté de la nature, l'émerveillement propre à l'enfance au regard neuf - il est, s'il demeure, celui du poète. Mais ce n'est que lorsque l'image du sac, de l'objet muet dans le sac m'est venue, que le désir réel d'en faire un livre a surgi. Surgie du sac, la muette voulait parler ; l'autre. Une double réalité ainsi s'est écrite, souffrance et plaisir. Ainsi peu à peu cette double face en tension a-t-elle pu s'inscrire, se dire.

En effet cette enfance est morcelée. Elle se partage entre Paris, Montpellier, Caussade près de Montauban, Toulouse. C’est le temps qui lui donne son unité avec, comme vous dites, une double réalité, souffrance et plaisir. On ne sent pas chez vous ce besoin de gommer ce qui a été douloureux pour célébrer ce qui pourrait être considéré comme un âge d’or.

A. S. : C'est que le douloureux .... constitue la narratrice. Par le travail d'écriture elle est parvenue à mettre à jour(?) la part d'obscur, celle qui ne veut pas vivre, qui a honte de vivre. Celle qui probablement donnera une voix -la muette!- à ses poèmes. Quelqu'un a reproché une séparation trop grande entre les deux personnages. Mais c'est l'essence-même du livre, cette sorte de schizophrénie, la faille. Certes les changements de lieux bousculent, "étrangérisent" si j'ose le néologisme. Mais l'absence d'accueil, pour faire sobre, de la mère -appelée dans le livre parfois: l'autre; comme la muette, heureusement relayée par la grand-mère, les grands-parents, apparaît davantage comme la vraie source de souffrance, la vraie dispersion. L'enfant se forme avec l'amour qu'on lui offre, son sol, sa résilience sont faits de ces tessons dispersés. L'idylle des années formatrices, de quatre à onze ans, chez les grands-parents, n'est pas la seule enfance, il n'y a pas d'âge d'or.

Je voudrais rajouter que l’essentiel de votre livre se déroule pendant la deuxième guerre mondiale, une période en elle-même douloureuse. Pourtant, même si quelques épisodes difficiles sont relatés, comme par exemple celui de la tonte des femmes à la Libération, la guerre en elle-même ne semble pas vous avoir atteinte. C’est peut-être là que la magie de l’enfance intervient.

A. S. : Lors de la guerre, à quatre ans et demi les parents de la narratrice l'ont envoyée chez les grands-parents, en future zone libre, et l'enfant n'a rien subi ni vu. Le récit rend compte de quelques perceptions partielles, ici ou là, au cours de ces années.

Des années marquées par une vie paysanne en terre occitane que vous décrivez sans céder au démon de la nostalgie. Il n’y a chez vous aucun passéisme. Mais je ne vais pas vous demander de redire avec d’autres mots ce que vous avez si bien décrit et analysé au fil des pages. C’est au lecteur maintenant d’aller à votre rencontre au travers de La muette et la prune d’ente, la prune d’ente ce fruit omniprésent sur les chemins de votre enfance. Annie Salager Merci !


Compléments :

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