Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 31 décembre 2011

L'énigme de l'abbé Fouré

Pour terminer cette année 2011, tout au long de laquelle nous aurons voyagé dans la création contemporaine, voici un texte de Michel Capmal, un familier de ce blog, qui est à la fois une présentation d'un artiste singulier, à la charnière du dix-neuvième et du vingtième siècle, et une méditation sur l'art, les énergies secrètes et les chemins mystérieux qui y conduisent.


C’est vers la fin de l’hiver dernier, lors d’un séjour à Saint-Malo que je découvris les rochers sculptés de Rothéneuf. J’en connaissais l’existence par ouï-dire ou bien de rares photographies. Ce jour-là, ciel couvert et marée basse, nous n’étions qu’une poignée de visiteurs accueillis par un silence de bout du monde. Les conditions de la rencontre d’un telle oeuvre aussi insolite qu’exceptionnelle, surtout après une longue promenade sur la plage, étaient donc plutôt favorables.

Le soir même, je voulus envoyer un message à quelques amis parisiens exprimant mon émotion admirative. Mais voilà qu’un cafouillage avec la connexion internet locale ne m’autorisa pas à atteindre les destinataires ; ou un seul d’entre eux peut-être ? J’ai gardé en mémoire la phrase suivante écrite dans un état de légitime fureur : Les affairistes de l’art contemporain devraient se prosterner devant une telle œuvre avant de rentrer définitivement sous terre ! Mais qui donc veut encore ignorer que « ce qui porte le nom d’art contemporain est un composé de publicité, de finances spéculatives et de bureaucratie culturelle » ? (Jaime Semprun : fragments retrouvés). Par contre, on peut "classer" tout naturellement les rochers sculptés de Rothéneuf dans la catégorie Art brut qui est bien plus estimable que l’art dit contemporain. Cependant, l’Art brut qui détient souvent un réel pouvoir de fascination est confronté lui aussi, ayant accédé à la reconnaissance officielle, au péril majeur de notre époque : la dévoration marchande avec les inévitables altérations et falsifications qui lui sont inhérentes.

L’homme qui nous a laissé cette œuvre monumentale était l’abbé Fouré, 1839-1910, personnage hors norme ; comme l’ont été parfois certains curés bretons. Citons l’abbé Gillard qui fut recteur de l’église de Tréhorenteuc, dans la forêt de Brocéliande, et dont la décoration est consacrée aux Chevaliers de la Table Ronde. (cf. la revue Empreintes n°13).

Alors, imaginons cet homme sur son promontoire rocheux, ses outils à la main, non pas en soutane mais dans une tenue de corsaire, voire de pirate. Un homme hanté et enfermé dans une extrême solitude. Ne serait-il pas une figure éloquente du travail de détournement de la castration religieuse au service de la volonté créatrice. (Que l’on veuille bien noter que je n’ai pas écrit "sublimation"). Une figure héroïque et singulière qui a surmonté son "handicap", sans subventions de l’État, mais en tirant du meilleur de lui-même l’énergie spirituelle autant qu’organique sans laquelle rien n’aurait pu voir le jour. En effet, quelle volonté, quel désir, quelle nécessité intérieure a pu animer ce solitaire, rendu sourd et muet à l’âge de 55 ans par on ne sait quelle malédiction, pour entreprendre un tel chantier ?

Voici, en 300 personnages répartis sur 500 m2, l’entière saga de la redoutable famille Rothéneuf et de leurs alliés ; des marins hallucinés, pirates impavides et implacables, tous survivant pour l’éternité dans le granit breton et le flux et reflux de l’océan. Des contrebandiers, trafiquants et guerriers ne connaissant que leur propre parti qui dominèrent la côte un siècle durant. « Flèches des flots » ainsi s’appelait leur flottille, constituée de plusieurs galères ; une petite armada paraît-il invincible. Et parmi les noms ou surnoms (apparaissant au large ou en basse mer) de ce formidable gang de têtes brûlées, on doit citer Gargantua, le commandant de la flotte, et quelques autres : La Bigne, Le Grand Chevreuil, La Goule, Le Grand Pointu, Job dit « Vive la Joie », Lucifer, L’Ours, Le Guemereux dit « Le Fakir », Crésus, La Buse, et ainsi de suite. Mais à travers ces personnages qui se sont, ou se seraient, épanouis vers le milieu du XVI° siècle, accompagnés de créatures radicalement infernales, c’est encore les forces vives du moyen âge (cf : les gargouilles et autres entités horrifiques ou angéliques de N.D de Paris) et tout le paganisme qui a souterrainement survécu à la christianisation qui nous donnent rendez-vous à Rothéneuf, sur la côte d’émeraude. Et cela grâce au génie obstiné de l’abbé Fouré.

L’abbé Fouré est, de toute évidence, un proche cousin du célébrissime Facteur Cheval qui réalisa son Palais Idéal de 1879 à 1912. L’abbé, lui, oeuvra de 1894 à 1910. Avec ce parallélisme temporel, on peut se figurer ces deux hommes au travail pendant, par exemple, l’année 1900. Tous deux solitaires obstinés, arc-boutés, et habités, l’un à Hauterives dans la Drôme, l’autre face à l’océan donnant forme à son rêve ou son navire de pierre. 1900, l’année de la mort de Nietzsche. Mais l’abbé Fouré a aussi bien sûr été le contemporain des symbolistes, d’Odilon Redon, de Guy de Maupassant, de Stéphane Mallarmé, d’Alfred Jarry, et on peut ajouter Rimbaud, Lautréamont, et même Victor Hugo, et quelques autres de ces « horribles travailleurs » fin de siècle et précurseurs et annonciateurs d’une certaine modernité, pour reprendre les termes de l’auteur de Une saison en enfer dans sa fameuse Lettre du voyant.

Que les personnages des rochers sculptés de Rothéneuf soient historiquement « vrais » ou bien fictifs, que l’abbé ait voulu illustrer une certaine idéologie qu’en savons-nous exactement ? Ce qui importe c’est la puissance d’évocation de forces telluriques, élémentaires, océaniques encore agissante en ce début de XXI° siècle. Comme sont encore agissants -espérons-le !- Rimbaud, Jarry, Lautréamont. Quelque chose d’un monde autre nous attend en ce lieu des limites et des confins. Cependant, pour approcher une telle œuvre, eh bien il faut « la mériter » comme au temps des cathédrales, et s’extirper de son regard de consommateur de sites touristiques, aussi « insolites » soient-ils, ou pire encore de Disneylands ! Et autant que possible, retrouver le grand silence dans lequel a vécu et œuvré Adolphe Julien Fouéré, dit l’abbé Fouré, dit l’ermite. Et nous aurons (peut-être) la clef de l’énigme si la visite se poursuit spirituellement du côté de l’alchimie.

Michel Capmal
4 octobre 2011.






samedi 24 décembre 2011

L'herbier de Jean-Marie Petit

En cette veille de Noël, voici un poème de Jean-Marie Petit qui est toujours le bienvenu dans ce blog. Ce poème s'intitule Tilleul, il est extrait de son dernier recueil Erbari/Herbier paru l'été dernier aux éditions Jorn.

Telh

N'
avèm plantat dos rengas
a l'esplanada de Clapièrs

en omenatge a Josèp de Pieussa
es l'alèia Deltelh...
S'i cròsan de Francescs d'Assisi
de Joanas d'Arc de Dòms Joans
de Jèsus II de Jèsus III de Jèsus IV
plen d'abelhas
sul flume Amor.
I fasèm la fèsta del fòls
quand ne vira
abans de n'acampar
de flor de patz
a la tisana rossa.



Tilleul

Nous en avons planté deux allées
à l'Esplanade de Clapiers
en hommage à Joseph de Pieusse
c'est l'allée Delteil...
On y croise des François d'Assise
des Jeanne d'Arc des Dom Juan
des Jésus II des Jésus III des Jésus IV
pleins d'Abeilles
sur le fleuve Amour.
Nous y faisons la fête des fous
à l'occasion
avant d'en ramasser
la fleur de paix
à la tisane rouge.

Jean-Marie Petit


Complément :

- le livre sur le site des éditions Jorn


samedi 17 décembre 2011

Lire et relire Bachelard - IV

Voici aujourd'hui une présentation du livre qui est à l'origine de cette série de chroniques. C'est en effet lorsqu'elle était en résidence à Rentilly que Françoise Ascal m'avait amené à parler de Gaston Bachelard dont elle avait fait l'axe de lecture autour duquel s'était organisé son séjour. Durant celui-ci, elle a elle-même consigné ce que l'oeuvre du philosophe champenois lui avait inspiré. Il en a résulté un journal mêlant méditation et poésie. De cette confrontation entre son expérience et une oeuvre rattachée à une époque que le monde contemporain tente de balayer - à laquelle se sont rajoutés des éléments apportés par des auteurs et des artistes qui ont nourris et nourrissent encore le parcours de Françoise Ascal (comme par exemple Albert camus, Pierre Bergougnioux, Charles Juliet ou Christian Boltanski) - est né un ouvrage riche et dense qui nous plonge au coeur des interrogations d'aujourd'hui.


Il est intéressant - et nous pouvons le faire au travers de cette série de chroniques - de voir ce qui différencie un poète d'un philosophe dans sa lecture de Bachelard. La lecture de Michel Capmal ou de Françoise Ascal, tous les deux poètes, sera différente de celle de Marly Bulcão qui est philosophe. Pour cette dernière, elle sera opératoire, elle sera attentive aux concepts forgés par Gaston Bachelard pour poursuivre la réflexion sur la science ou l'imagination. Pour les deux premiers, elle sera plus liée aux intuitions qui s'en dégagent afin de mieux orienter la rêverie et l'écriture.
Profondément attachée à la terre, à la relation forte avec le monde qui en découle, Françoise Ascal ressent comme une perte, cette montée du virtuel qui envahit peu à peu des pans entiers de nos existences. Elle a et aura des conséquences sur la poésie elle-même car elle risque de la mettre en danger, si nous ne gardons pas en nous l'attitude bachelardienne qui nous relie à des énergies primordiales dont nous ne pouvons nous passer pour donner de la force aux mots et aux images.
Pour conclure, je propose cet extrait du livre qui nous en donnera l'orientation et je l'espère l'envie de le lire tout entier : "En France, aujourd'hui, nombreux sont les poètes qui cultivent une langue volontairement neutre, se défient des adjectifs et des images. Ce n'est pas ma voie, non par souci de résistance, mais par nécessité intime. Ce vocabulaire que je m'efforce de rendre aussi précis que possible est celui d'une conquête. Appropriation d'une langue manquante, trouée dès l'origine par la pauvreté et le silence des miens.
Chaque mot gagné sur l'ordinaire de l'enfance ouvrait une fenêtre, accroissait l'espace et la conscience. Ainsi, leçon merveilleuse furent les mots de métiers utilisés par mes parents, échappant à l'étroitesse ambiante : le vocabulaire de la couture, des tissus, des modes de façonnage, celui du jardinage, des techniques et outils, celui des variétés de fruits et légumes. C'est par là que la poésie est entrée en moi, à mon insu, et au leur."


Complément :

- le livre sur le site de l'éditeur avec une vidéo sur l'auteur

samedi 10 décembre 2011

Le souvenir de Paul Desjardins

Début septembre, nous avions présenté le programme des soirées littéraires organisées par les Amis de Pontigny, en souvenir des fameuses « Décades » créées par Paul Desjardins. Marie-Odile Bougaud, qui participe activement à la préparation et à la mise en œuvre de ces soirées, a accepté de nous en dire plus sur celui qui est à la source de cette aventure spirituelle et culturelle.

Paul Desjardins (à gauche) à Pontigny

Marie-Odile Bougaud, vous avez entrepris un travail original et particulièrement éclairant sur la personne de Paul Desjardins, puisque vous êtes actuellement en train de transcrire ses agendas.

La bibliothèque Jacques Doucet conserve les « agendas bijoux » de Paul Desjardins, de 1924 (il avait alors 65 ans) à 1939, quelques mois avant sa mort à Pontigny. J’ai proposé à Claire Paulhan de poursuivre la transcription déjà commencée, incomplète et parcellaire.
Motivée surtout par les notes sur la vie pontignacienne de Paul Desjardins – qui avaient peu intéressé les chercheurs – j’ai très vite été impressionnée par ses relations sociales (quantité et qualité) et ses projets, émue par ses doutes, ses scrupules, sa spiritualité, ses peines de cœur.
Ce travail avance à petits pas, il faut 4 heures pour copier 3 semaines, et pour l’instant plus de la moitié des agendas restent à transcrire.

Ce n’est donc pas un travail universitaire que vous motive mais plutôt une démarche de sympathie pour quelqu’un qui a vécu dans un lieu auquel vous êtes vous-même attachée. Peut-on se faire des amis par delà le temps ?

Pontigny est un lieu fort, de l’abbaye cistercienne fondée en 1114 subsistent non seulement le domaine que Paul Desjardins acheta en 1906, mais aussi la grande abbatiale lumineuse et silencieuse. Il reste très peu de traces à Pontigny de la période des décades, le domaine a vu se succéder plusieurs occupants, et les derniers témoins ont maintenant disparu. Dans les agendas, Pontigny est souvent évoqué : la préparation des Décades, les aménagements des bâtiments et des jardins, les promenades aux environs, et même la gougère typiquement bourguignonne préparée pour l’arrivée du maître des lieux.
Je dirais donc que l’on peut faire des rencontres par delà le temps, et je vais à la bibliothèque Doucet comme à un rendez-vous très attendu.

Rappelons pour ceux qui ne connaissent pas la Bourgogne que la gougère est une spécialité culinaire à base de pâte à choux et de fromage râpé. L’esprit qui souffle sur Pontigny depuis des siècles n’exclut pas les nourritures terrestres. Justement, comment définiriez-vous celui que Paul Desjardins a voulu insuffler aux Décades ?

Je ne peux que lui laisser la parole : « Des retraites pieuses d’autrefois, les Entretiens d’été voudraient reproduire le bienfaisant effet de rupture périodique avec ce qui disperse, contrarie et use, de rappel de la pensée à elle-même. Mais l’analogie s’arrête là. Les Entretiens d’été sont tout laïques [--]. Ils veulent appliquer discrètement, librement, le régime cénobitique [--] à l’entretien de la plus pure et vivace liberté d’esprit »
Paul Desjardins croit aux vertus de la rencontre, de « l’honnête discussion », en vue d’une meilleure compréhension mutuelle, et finalement, de la paix. Ses efforts pour le rapprochement franco-allemand, malgré l’échec apparent que lui inflige la guerre de 39-45, ont peut-être leur part dans la création de l’Europe.
Même si Lytton Strachey s’ennuie dans les discussions où l’on « coupe les cheveux en quatre », beaucoup de témoignages insistent sur la qualité des échanges « informels », l’intérêt des discussions libres, le thème des Entretiens n’étant qu’un prétexte.

Hormis le cadre pour un effort de compréhension mutuelle et de paix, qui a dépassé aujourd’hui les relations franco-allemandes pour s’étendre à la planète tout entière, le projet et la méthode de Paul Desjardins sont d’une actualité criante. Les facteurs de dispersions se sont multipliés et les rencontres entre écrivains, philosophes, intellectuels, lorsqu’elles prennent la forme de colloques ou de journées d’étude, ne créent pas, me semble-t-il, les conditions de cet échange libre et ouvert, tel qu’il existait à Pontigny. C’est, je crois, dommageable pour la pensée et la création.

Comme j’ai eu la chance de passer plusieurs années sur les lieux mêmes des Décades, il m’est assez facile de me représenter les colloques (singuliers) sous la charmille, la cérémonie du thé de l’après-midi au bord du bief, les promenades dans la campagne bourguignonne. Tout cela facilitait les échanges, permettait à de jeunes étudiants de côtoyer des intellectuels reconnus et de bénéficier de leurs critiques et conseils, créait les conditions de la réflexion. Le retrait du monde, le silence, la proximité des livres, le temps libre, voilà peut-être ce qui manque aujourd’hui ?

Mais qui peut revenir, c’est le vœu que nous formulons. Marie-Odile Bougaud, merci !



Compléments :

- Les photographies en noir et blanc proviennent du fonds Jausseran-Schmidt. Sur la première, on remarquera, debout cheveux clairs, Liliane Chomette, future épouse de Ramon Fernandez et mère de Dominique Fernandez. Sur la seconde, en partant de la gauche : Léon Brunschvicg, Paul Desjardins (de dos), François Mauriac et André Gide. La photographie en couleurs (vue de l'abbatiale depuis le parc du domaine) provient du fonds des Amis de Pontigny.

- Le site des Amis de Pontigny

- Pour mieux connaître Paul Desjardins, nous recommandons le livre de François Chaubet : Paul Desjardins et les Décades de Pontigny aux Presses Universitaires du Sptentrion.

samedi 3 décembre 2011

Chiendents : une nouvelle revue

Luc Vidal a déjà été présenté dans ce blog pour ses nombreuses initiatives en faveur d'une poésie à hauteur d'homme. Après les revues Incognita et les Cahiers Cadou, il vient de lancer une nouvelle revue : Chiendents, cahiers d'art et de littératures pour laquelle il a imaginé la formule d'abonnements rétroactifs. Elle permettra en toute souplesse de se procurer les numéros manquants d'une nouvelle série dont l'éditorial qui suit montre l'orientation. Nous souhaitons bon vent à la revue Chiendents !



Chiendents
, voici une nouvelle revue, un cahier de plus dans les paysages littéraires de la galaxie. Comme un clin d’œil à Raymond Queneau. Les dictionnaires définissent le chiendent comme une mauvaise herbe des cultures et des pelouses. Mais appliqué au champ littéraire il est fertile, nécessaire et indispensable. Pourquoi ? La culture institutionnelle depuis trente années a une tendance plus que naturelle à laminer tout ce qui n’est pas elle. Dame nature offre au chiendent pourtant la possibilité d’être utile. En Bretagne, du côté de Plurien et d’Erquy, avec les oyats, le chiendent consolide les dunes. Ce cahier sera la dune et le sable d’une vraie liberté du mot , de sa chanson et de sa couleur. Ce cahier présente un poète, un écrivain, un peintre, un chanteur, un sculpteur, un photographe ou un thème ... .Il s’agit aujourd’hui, plus que de défendre, de faire vivre une démocratie culturelle authentique du véritable échange et partage. Ce premier numéro a pour titre : trois nouvelles pour votre automne présentant Yves Hughes qui saisit avec justesse les salves mélancoliques de l’âme dans Clownerie, Louise de Ravinel qui raconte un voyage de mémoire à mémoire pour recoller les morceaux de Narcisse et Roger Wallet qui taille les mots avec prédilection pour nous offrir la joie parfois triste d’être au monde. Nicolas Désiré Frisque croque le portrait des écrivains. Enfin des notes de lecture et un poème de Robert Desnos No pasarán que nous dédions à tous ceux et celles qui luttent pour la liberté et la démocratie, en particulier à ceux et celles de Tunisie, d’Egypte, de Libye et de Syrie.

Luc Vidal

Ce cahier n°1 est disponible par correspondance pour le prix de 3 euros + 2 euros de port soit 5 euros. Format A5 , 40 pages. A commander aux Editions du Petit Véhicule.

samedi 26 novembre 2011

Amitié à Colette Gibelin

J'aimerais aujourd'hui exprimer mon amitié à Colette Gibelin qui appartient à cette catégorie de poètes dont l'oeuvre se bâtit dans le silence, la patience et la discrétion. Pour eux, le temps est un allié. Ils le savent et c'est la raison pour laquelle, ils avancent dans la sérénité, ayant la certitude que la lumière de leur parole éclairera toujours au plus profond de la nuit. Voici un poème de Colette Gibelin extrait de son recueil Un si long parcours paru en 2007.

Et nous voici, encore une fois, jetés
dans les vendanges et bousculés d'azur. Menacés,
dissous, désarmés, ivres de soleils imparfaits.

Iles folles de la nuit, îles éclatées,
nous scintillons dans nos défaites, de toute l'insolence
de vivre.

Terre insensée, dévorée d'angoisse
et de joie de vivre, nous t'invoquons royale. Quelles
sources en marche, quel acharnement ?

Mains nues, abandonnées aux
drames, aux blessures, aux caresses, j'aime la vie
jusqu'au désespoir, jusqu'à l'extase. Une moisson de
visages, de solitudes. Horizons agrandis par l'oubli.

Nous voici investis, effrités,
clamant encore la joie d'être mortels.

Colette Gibelin


Complément :

- Colette Gibelin sur le site Esprits nomades


samedi 19 novembre 2011

La place du libraire

Bien que toutes les publications que nous présentons dans ce blog ne passent pas par le circuit des librairies, pour des raisons d’ailleurs qu’il serait intéressant de développer, celui-ci nous paraît être, malgré la vente en ligne, l’élément-clef pour la diffusion d’une littérature de qualité. Encore faut-il que les libraires y exercent leur métier avec cet objectif et n’y réduisent pas le livre à un simple objet de consommation. J’ai rencontré Camille Fénérol, de la librairie Charlemagne à Hyères, pour approfondir le sujet.


Camille Fénérol comment envisagez-vous le métier du libraire d’aujourd’hui ?

Le libraire est d’abord un relais de la production littéraire contemporaine. Il donne des conseils de lecture à ses clients dans sa librairie qui est aussi un lieu d’accueil pour des manifestations culturelles en lien avec le livre.

Qu’est-ce qu’il est important pour vous de relayer ?

D’abord les ouvrages qui profiteront d'une promotion media (tv, radio, presse) : « J’entends parler d’un livre, cela me donne envie, je veux me le procurer rapidement". À côté de cela, j’ai à cœur de positionner des titres de plus petits éditeurs qui donnent aussi une couleur plus singulière à l'offre de notre librairie.

Merci de donner leur chance aux petits éditeurs. Mais arrivez-vous à entraîner des lecteurs vers leur production ?

Il m’est parfois plus simple de proposer un ouvrage dont personne n’a entendu parler. Si le texte est bon, on peut très bien en vendre autant qu'un best seller, voir plus. Paraître chez un grand éditeur ne garantit en rien des ventes en quantité.

Voilà des paroles bien réconfortantes. Et qu’en est-il pour la poésie ?

Pour la poésie un fond "classique" type "poésie Gallimard" fonctionne très bien. Pour la poésie contemporaine, il est nécessaire de faire des mises en avant de l'éditeur (comme nous avons fait par exemple cet été avec les éditions Cheyne).

Ces quelques mots suffisent, je pense, pour mesurer et comprendre ce que les auteurs dont nous parlons dans ce blog, peuvent attendre d’une relation avec leur libraire, lorsqu’il est, comme vous, attentif à toute la création littéraire de son temps, même si elle ne passe pas par les grands éditeurs. En conclusion, auriez-vous quelques conseils ou recommandations à faire pour que les livres émanant de petits éditeurs, y compris de poésie, trouvent plus facilement leur place en librairie ?

Que les auteurs insistent auprès de leurs éditeurs pour qu'ils fassent un vrai travail de service commercial. Dans le cas d'une collection de poésie, que l'éditeur soit capable de proposer aux libraires une ligne éditoriale qui donne les arguments nécessaires pour la présentation que nous faisons des textes à nos lecteurs. Un titre isolé c'est toujours difficile. La "collection" fait la force. !

Camille Fénérol, merci !


Compléments :

- Camille Fénérol sur Web TV Culture

- Le site des librairies Charlemagne


samedi 12 novembre 2011

Poésie de la vigne et du vin

Alors que la période des vendanges est maintenant derrière nous, voici une publication à la gloire du vin, de la vigne, de la poésie et de l'art. Nicole et Georges Drano, dont j'ai déjà présenté l'activité exemplaire au service de la poésie, avaient fait les choses en grand pour la centième d'A la santé des poètes, le rendez-vous mensuel qu'ils organisent dans le cadre de leur association Humanisme et Culture. Au Domaine de la Plaine, à Frontignan, connu pour ses vins de Muscat, ils avaient convié le 10 juin 2010, poètes, photographes, musiciens et plasticiens, à venir faire partager leurs créations avec le public. L'essentiel de cette rencontre est aujourd'hui fixé sur le papier dans ce numéro spécial des Carnets des Lierles paru en avril dernier.
Celui-ci regroupe une présentation du Domaine de la Plaine par sa propriétaire Marie-Noëlle-Francis Sala, une petite histoire du cépage muscat par Jean Clavel, des poèmes de Stéphen Bertrand, Jean-Paul Creissac, Georges Drano, Jacquy Gil, James Sacré, Nicole Drano Stamberg, Pierre Tilman, Serge Velay, Marc Wetzel et Jean-Marie Petit. Tous les poèmes sont publiés en version bilingue occitan/français ou français/occitan, selon la langue dans laquelle écrit le poète. Ce sont Jean-Paul Creissac et Jean-Marie Petit qui se sont chargés des traductions en occitans.
Des photographies signées Laurent Delamotte et Georges Souche les accompagnent. Ce beau numéro montre aussi des oeuvres des plasticiens Jean-Paul Agosti, Joël Bast, Enan Burgos, Marie-Hélène Bikowa, Marie-Noëlle Git, Bérénice Goni et Jean-Pierre Rose. Une riche iconographie donc pour célébrer le divin brevage.

Parmi tous les poèmes présentés, en voici un de Jean-Paul Creissac, que j'ai choisi pour lui rendre hommage, afin de ne pas oublier que le poète occitan et le responsable des éditions Jorn, est aussi vigneron :

Vinhas e tròces

La vinha es un còs
Que l’òme n’es lo cap
E lo vin l’èime

Avetz desoblidats dins l’ivern de vòstras mans
Lo quichadis caud d’autras mans frairenalas

Setz anats per camins, per carreirons e per òrtas
Desvariats e estrangièrs a vosautres

La paraula clara que s’enauça
Es un cant que te pren e t’emmasca

La vinha es grand còs espandit
Vestit d’un lençòl de petasson al còr de l’estiu

Ta pèu rusca m’escarraunha las mans
Los dets ensagnosits sentisson pas mai lo freg

Contra vent e soberna
Aigat e tempesta
Sias aqui drech davant lo mas
La china te leca las mans

E de sègle en sègle
Se passa entre òmes
Aquel sentit prigond d’apartenença
A la tèrra

Acordança de dòl e de jòia

Aquel còs amanhagat
Te bailarà la frucha mai chucosa
La gruna mai madura
Lo most mai enchusclant

Dins la rasa, l’oliu
Sauvat de la manjança e dau fuòc
Per las mans de ton paire
La tèrra te parla
Las paraulas pasmens s’escantisson
Es que nos demòra la memòria ?


Vignes et morceaux

La vigne est un corps dont l’homme est la tête et
Le vin l’esprit

Vous avez oublié dans l’hiver de vos mains la poigne
D’autres mains fraternelles

Vous êtes allés par chemins et sentiers désorientés,
Etrangers à vous-mêmes

La parole claire qui s’élève est un chant qui te prend
Et t’ensorcelle

La vigne est un grand corps étendu, couvert d’un drap
Bigarré au cœur de l’été

Ta peau caleuse m’écorche les mains, les doigts ensanglantés
Ne sentent plus le froid

Contre vent et marée, inondation et tempête, tu es là
Debout devant le mas, la chienne lèche tes mains

De siècle en siècle se passe entre hommes
Ce sentiment profond d’appartenance à la terre

Accord de joie et de douleur

Ce corps caressé te donnera les fruits les plus beaux
Les grains les plus mûrs, le moût le plus fort

Dans la haie, l’olivier, sauvé des broussailles et du feu
Par les mains de ton père
La terre te parle
Les paroles cependant s’éteignent
Nous restera-t-il seulement la mémoire ?

Jean-Paul Creissac


Compléments :

- contact Humanisme & Culture : ngdrano@club-internet.fr
- Jean-Paul Creissac sur le site Cardabelle


samedi 5 novembre 2011

Victor Segalen, un rêveur d'écriture

Dans une précédente chronique, Michèle Serre nous avait expliqué sa manière de procéder pour rendre hommage à des poètes et des artistes qui lui tiennent à coeur. Après Ossip Mandelstam, c'est vers Victor Segalen qu'elle a dirigé son regard de poète.

Ce beau livre réalisé avec soin comme tous ceux des éditions du Bien-Vivre, imprimé sur papier vergé, contient 38 pages et 6 reproductions d'oeuvres de Pierre Sentenac. Il a été tiré à 100 exemplaires. Michèle Serre y laisse parler Victor Segalen qui trace son parcours commencé puis tragiquement interrompu dans sa Bretagne natale après des séjours marquants en Océanie et en Chine. Elle le fait en onze poèmes complétés par une postface et une citation de Segalen lui-même : "Le soleil monte : fuis-le en regardant comment vient la houle. Le soleil tombe : cours après lui : voilà pour te guider le jour."
Comme pour ses précédents ouvrages, l'auteur s'est longuement imprégnée au préalable de la vie et de l'oeuvre de celui qu'elle a choisi d'évoquer, pour nous livrer en quelques vers l'essentiel et la quintescence de son cheminement et de sa quête existentielle.
Voici un extrait du sixième poème où Michèle Serre fait parler Segalen s'interrogeant sur Arthur Rimbaud :

"Qu'a-t-il perçu dans les Hauts plateaux
du Harrar
et dans la somnolence du désert...

Se souvient-il encore de ses visions
des images somptueuses
qui le visitaient autrefois ?

Où est le chemin pressenti
qui devait combler ses désirs ?
Après avoir erré longtemps
dans sa légende

Peux-être retrouverai-je
ce diseur de grande aventure
l'adolescent aux cheveux blonds
qui m'a fait signe
à l'aube de ma vie."

Elle nous invite à poursuivre le voyage pour aller encore plus loin, par la poésie, et tenter de s'approcher encore plus près de ce qui anima en profondeur la vie et l'écriture de Victor Segalen.

Complément :

Victor Segalen, un rêveur d'écriture est vendu 20€ - (Editions Le Bien-Vivre : pierresentenac@orange.fr).



samedi 29 octobre 2011

Serge Bec, un poète provençal dans le siècle

En février 2010, nous avions consacré une chronique à Serge Bec en présentant son livre Femna mon Amor/Femme mon amour. A cette occasion nous avions fait mention de la journée qui lui avait été consacrée en avril 2009 par le département d'Occitan de l'Université Paul Valéry de Montpellier à l'initiative de Marie-jeanne Verny. Les textes des interventions qu'elle avait rassemblés par la suite viennent de paraître dans la Revue des Langues Romanes. Gérard Gouiran responsable de cette publication m'a aimablement autorisé à présenter dans ce blog de larges extraits de l'avant-propos où Marie-Jeanne Verny situe cette journée d'étude dans le contexte de recherche du département d'Occitan et présente le contenu des différentes interventions parmi lesquelles on trouvera la sienne portant sur une analyse très stimulante de la correspondance entre Serge Bec et Robert Lafont. Je les remercie tous les deux.


La journée d’études organisée en 2009 par l’équipe de recherches RedOc / LLACS autour de l’œuvre de Serge Bec, en présence de l’auteur, fut la deuxième initiative d’un programme pluriannuel sur la poésie d’oc des années 1930 à 1960. À la suite des suggestions de Philippe Gardy, il parut évident que les sources du renouveau poétique contemporain étaient à chercher dans cette période. Un premier colloque, en 2008, y fut donc consacré, dont la moitié des communications, centenaire oblige, étudièrent l’œuvre de Max Rouquette. Des regards furent aussi portés sur d’autres écrivains : Robert Allan, Jean Boudou, Charles Camproux, Gumersind Gomila, Denis Saurat, sur la revue Òc ou sur les anthologies, tant de la tradition mistralienne que du renouveau occitan[2]. Un deuxième colloque, en 2010, s'intéressa aux échos du trobar dans la littérature contemporaine, en particulier chez Max Rouquette, Miquèu Camelat, Prosper Estieu, Paul-Louis Grenier, Jeanne Barthès dite Clardeluno, Jean Boudou, René Nelli, et Robert Lafont. Les Actes sont en cours d'édition, dans une collection qui devrait regrouper les travaux sur la réception des troubadours du Moyen Âge à l'époque contemporaine[3]. Depuis ces premières initiatives, les travaux se sont poursuivis : Jean-François Courouau a édité Denis Saurat[4] ; Philippe Gardy a publié des traductions de Lorca par Max Rouquette[5], une étude de la poésie de René Nelli illustrée par un choix de textes et s’est intéressé, dans un numéro de la revue Lenga e Pais d'òc[6] aux débuts poétiques de Robert Lafont ainsi qu'à son travail critique dans les Cahiers du Sud, où l'accueillit Jean Ballard grâce à l'entremise de René Nelli[7] ; l’œuvre poétique complète de Robert Allan (texte établi et annoté par Marie-Jeanne Verny) doit paraître prochainement aux éditions Letras d’òc...

La personnalité de Serge Bec, un des poètes occitans contemporains les plus féconds, jusqu'en ce début du XXIe siècle, et ses débuts poétiques dans les années 50 nous ont paru mériter qu'on lui consacre une journée spéciale, en attendant la réédition des premiers recueils dont il est ici question, devenus introuvables. Ces premières œuvres répondent en effet à l'analyse que faisait Philippe Gardy dans l'introduction des actes du colloque de 2008 :

Entre le début des années 1930 et la fin des années 1950, rien ne change au fond, et cependant tout se modifie dans ce territoire d’écriture dont les dimensions demeurent néanmoins modestes. Des héritages sont là, très présents, parfois trop, juge-t-on. Il en va ainsi du mistralisme et du Félibrige, dont l’ombre, que certains commencent à juger stérilisante, s’est étendue sur toutes les formes d’écriture occitane, et d’abord poétiques. Pour résumer : on admire Mistral, assez uniformément, mais on refuse l’héritage qu’il a pu laisser, à son corps défendant souvent. Et l’on est enclin à se rebeller contre une tradition qui consisterait avant tout à répéter, plus ou moins servilement, et à se conformer aux leçons les plus convenues héritées des générations antérieures.

Comme d'autres poètes d'oc de Provence, à commencer par Robert Lafont lui-même, le jeune Bec fréquenta d'abord des cercles félibréens, avant de prendre violemment son autonomie, avec son compère et voisin Pierre Pessemesse. En témoigne sa correspondance avec Robert Lafont, dont cette lettre de 1954 : « Il faut soulever la croûte et racler la chair une fois pour toutes. Il faut faire saigner !... » qui est à peu de choses près la traduction littérale d'une formule de l'introduction du recueil Li Graio negro cosigné Pessemesse, Bec et Max Fayet : « Fau grafigna la rusco, metre la plaga au viéu e faire sauna... ».

Le premier article, signé de Philippe Martel, fait l’histoire de cette période de durcissement des conflits entre les deux camps qui allaient désormais s’opposer pendant des décennies, tout en tentant périodiquement des rapprochements. Martel n’oublie pas cependant le contexte plus large des « temps qui changent », contexte historique « riche en péripéties » entre guerres et mutations sociales, techniques et mentales, qui marque l’entrée en littérature du jeune auteur. La fin de la période étudiée correspond à la confrontation avec la guerre d’Algérie, celle qui ne voulait d'abord pas dire son nom, et qui obligea Bec, en 1957, à quitter la femme aimée, ce qui nous a valu des cris d'amour déchirants adressés à « Anna l'amor ».

C’est à une autre forme de mise en contexte que se livre Jean-Claude Forêt qui propose une lecture de la trajectoire poétique de Bec lui-même, depuis les premiers textes publiés jusqu’aux plus récents, soit une vingtaine de recueils, à partir des deux motifs poétiques principaux qui parcourent l’œuvre : La femme et le pays. Forêt suit, de recueil en recueil « cet itinéraire de parole » après avoir analysé la continuité poétique de ces grands motifs, que croise souvent la hantise de la mort. Bec est replacé à la fois dans la continuité du joi d’amour des troubadours et dans la perspective du surréalisme (Breton, Éluard, Aragon) auquel s’ajoute l’influence de Char.

C’est à partir d’un autre angle d’attaque que Philippe Gardy situe dans son temps l’œuvre de Serge Bec : il la met en parallèle avec celle de son presque contemporain Yves Rouquette, tous les deux témoignant des « retours du lyrisme dans la poésie d’oc des années 1950 ». L’analyse de ces deux voix poétiques, toutes deux lyriques, mais dans des tonalités très différentes, s’éclaire du recensement minutieux de leurs sources possibles ou clairement revendiquées, de la description du contexte éditorial dans lequel sont publiées leurs ouvrages et de leur réception.

Autre éclairage encore, celui que nous apporte le dépouillement de la correspondance croisée entre Serge Bec et Robert Lafont. On y découvre les coulisses où se bâtissait l’entreprise éditoriale de la poésie occitane de ces années 50, une entreprise dans laquelle Lafont jouait un grand rôle ; il ne servait pas seulement de conseiller linguistique et littéraire avant l’édition mais également de critique après celle-ci. On y découvre aussi les sentiments intimes du jeune Bec avant qu’ils ne soient voilés / dévoilés) par leur expression poétique : enthousiasme amoureux et douleur presque physique de l’absence de l’être aimé…

Cette qualité d’une expression presque physique des sentiments doit beaucoup au foisonnement des images poétiques et à leur surgissement inattendu. On comprend mieux l’art du poète après l’étude précise des métaphores que conduit presque avec minutie, Paul Peyre, un fin connaisseur de l’œuvre du poète.

Cet ensemble d’éclairages sur l’œuvre de Bec et son contexte se complète d’un témoignage, celui de Jean-Luc Pouliquen, lui-même poète, critique et éditeur, à qui l’on doit un ouvrage de conversations croisées entre Bec et Manciet[8]. Il nous livre ici ses souvenirs personnels de son compagnonnage poétique et éditorial avec Serge Bec...

Marie-Jeanne Verny
LLCAS
Université Paul-Valéry
Montpellier III


[2] Voir Philippe Gardy et Marie-Jeanne Verny, Max Rouquette et le renouveau de la poésie occitane : la poésie d’oc dans le concert des écritures poétiques européennes (1930-1960). Presses Universitaires de la Méditerranée (Université Montpellier 3), collection « Études occitanes », 2010.

[3] Dans le cadre d’un programme pluriannuel (2010-2014) intitulé « La réception des troubadours, XIIIe-XXIe siècle », coordonné par l’université de Toulouse II-Le Mirail (UTM), associant les universités d’Aix-Marseille, Barcelone (Universitat Autònoma de Barcelona, UAB), Bordeaux III (Université Michel de Montaigne), Gérone (Universitat de Girona, UdG), Montpellier III (Université Paul Valéry, UPV) et Pau (Université de Pau et des Pays de l’Adour, UPPA). Coordination générale assurée par Daniel Lacroix (UTM) et Jean-François Courouau (UTM).

[4] Denis Saurat, Encaminament catar, P. U. du Mirail, « Interlangues », Toulouse 2010.

[5] Federico García Lorca,

- Romancero gitan, Version occitana de Max Roqueta, editat per Felip Gardy, Toulouse, Letras d’òc, 2009.

- Poèma dau Cante Jondo seguit de Planh per Ignacio Sánchez Mejías e de Divan dau Tamarit, version occitana de Max Roqueta, Edicion establida per Felip Gardy, Toulouse, Letras d’òc, 2010

[6] Lenga e País d’òc, n° double 50-51, CRDP Montpellier, 2011.

[7]Philippe Gardy, René Nelli, la recherche du poème parfait suivi de René Nelli, Choix de poèmes, Carcassonne, GARAE /Hésiode, 2011.

[8] Jean-Luc Pouliquen, Serge Bec, Bernard Manciet, Entre Gascogne et Provence. Itinéraire en lettres d’Oc, Aix-en-Provence, Edisud, 1994.

Complément :

- le site de la Revue des Langues Romanes

samedi 22 octobre 2011

Yves Olry & les éditions Color Gang

Nous poursuivons avec cette chronique notre présentation de l'univers de la poésie et de l'écriture. Aujourd'hui nous donnons la parole à un éditeur à qui Enan Burgos, déjà accueilli dans ce blog, a posé quelques questions épineuses...


Salah Stétié, Enan Burgos et Yves Olry au festival Voix Vives de Sète en juillet 2011

CINQ QUESTIONS ÉPINEUSES POUR YVES OLRY

1 - Vos livres édités, par le choix des formats inusuels, le travail graphique souvent très, très noir, leurs paginations à contre-sens, l’impertinence des textes choisis, leurs titres dithyrambiques et ceux des collections qui les accueillent, témoignent d’une quête de rébellion contre la tyrannie du « beau », des rituels trop souvent gluants et ankylosants liés au monde de l’art et de l’édition ? Suite à ce portrait, la question que s’impose est la suivante : êtes-vous un éditeur révolutionnaire ?

« Un pays qui prend Bernard Tapie pour un entrepreneur, Bernard-Henri Lévy pour un philosophe, Jacques Attali pour un penseur, Claire Chazal pour une journaliste, Alain Minc pour un économiste, etc. ne peut s’étonner d’avoir Nicolas Sarkozy comme président de la République » (Philippe Meyer sur France Culture - septembre 2011). Dans ce pays d’opérette j’apparais quelquefois comme un éditeur révolutionnaire, j’entends souvent aussi « résistant ». / les résistants que j’admire sont morts ou en prison … / moi je n’habite pas dans ce pays là / j’habite ailleurs / dans mon pays les vrais héros n’ont pas vu la fin de la guerre… / je fais juste mon travail / celui d’éditeur / comme j’imagine qu’il doit se faire / sans plus / juste le mieux possible / avec les moyens dont je dispose / c’est tout / pas révolutionnaire / pas résistant / peut-être simplement libre…

2 - Il a circulé récemment par Internet une vidéo étonnante en espagnol, entre parenthèse, c’est vous-même qui me l’avait envoyée. Dans cette vidéo l’auteur avec ironie et humour détourne le code publicitaire utilisé par les promoteurs du livre électronique en faveur du bon vieux livre imprimé sur papier… J’ai comme l’impression que vous, en tant qu’éditeur, vous adhérez au parfum de nostalgie qui se dégage de cette vidéo ?

J’aime comprendre… / la typographie je comprends très bien comment ça marche / j’ai appris le métier pendant quatre ans avec un maître d’apprentissage / j’aime également l’informatique / j’ai possédé tous les modèles de Mac depuis leur mise sur le marché / j’adore me servir d’internet et je ne peux pas passer quatre jours sans consulter ma messagerie / mais j’utilise cet outil comme un singe : je tape sur la touche jaune et j’obtiens une banane / je tape pomme P et ça imprime / je sais m’en servir / mais je ne comprends pas comment ça marche / régulièrement je remplace mes machines par d’autres machines plus performantes / régulièrement je remplace mes imprimantes par d’autres imprimantes parce que la connectique a changé / régulièrement je suis obligé de remettre à jour mes logiciels / l’informatique représente pour moi un asservissement aux fournisseurs de matériel, aux fournisseurs d’accès, aux fournisseurs d’énergie et aux marchands d’encre (on dit que le prix d’un litre d’encre pour imprimante se situe entre 800 et 2500 €) / les contraintes sont les mêmes pour le livre numérique, liseuse et autre tablette / j’habite un monde où il y a trop de tout (y compris trop de livres) / trop de gaspillage / l’expression développement durable a sans aucun doute été inventée par une agence de communication / le recyclage est une foutaise qui ne fait que favoriser la rotation toujours plus effrénée des produits de consommation / je remplace mes ordinateurs tous les deux ans alors que la plus jeune de mes presses typo a 45 ans / elle tourne comme une montre et ne nécessite aucune mise à jour / juste de la graisse de temps en temps / la typographie est un procédé lent / artisanal et peu onéreux / prix du papier + temps / et c’est tout / mon ordinateur contient environ 2 000 polices de caractères et je sais que ma vie s’arrêtera bien avant que je les découvre toutes… / c’est déprimant… / en typo je possède peu de polices / peu de matériel / j’aime les contraintes de cette économie de moyens / ça pousse à l’invention / alors si je suis nostalgique c’est avant tout de cette indépendance là / et des livres bien fait… /.



3 - Cette troisième question va à la rencontre du médiateur culturel que vous êtes, puisque au passage, il s’avère important de signaler que vous avez plusieurs cordes à votre arc : peintre, graveur, sculpteur, création graphique, scénographe, Maître Compagnon dans l’art de la composition typographique et des techniques de l’impression. Vous travaillez également pour le secteur culturel institutionnel, puisque vous êtes responsable de la mission culture de la Ville de Grigny dans la Région Rhône-Alpes près de Lyon. Vous y menez une politique culturelle avec panache, dont un des soucis primordiaux est de démocratiser la culture. Après cette longue introduction, j’essayerai d’être bref : le monde tourne aujourd’hui d’une telle façon que même la culture n’échappe pas aux assauts pervers de la mondialisation, le citoyen est devenu un consommateur, l’art et la culture un produit de consommation. « Le client est roi », dit-on. Devant une telle débâcle, la vieille idée de révolution culturelle vous semble-t-elle d’actualité ? Et si oui comment vous y prenez-vous dans votre rôle de médiateur pour y parvenir ?

Plasticien depuis toujours l’occasion m’a été donnée d'occuper un poste de DAC / de passer de l’autre côté en quelque sorte / le côté du « pouvoir » / de simple artiste j'étais promu au rang de « décideur » / c’était aussi l’occasion de découvrir un autre monde / celui de la mairie et de son fonctionnement compliqué / et puis ensuite les tentatives de faire se rencontrer les deux mondes / celui de l’artistique que je connaissais bien et celui de la mairie que je découvrais petit à petit / grâce à la volonté politique et le soutien de l’équipe municipale en place, de nombreuses opérations ont été menées : symposium de sculpture, concerts de quartier, ateliers du livre, installation d’artistes sur une ancienne friche industrielle, expositions etc / je suis persuadé qu’avec une réelle volonté politique, l’action reste possible / les problèmes apparaîtront avec la mise en œuvre des réformes territoriales / la culture restera-t-elle compétence communale ? / j’en doute / dans les services communication on retrouve des professionnels de la com / alors qu’autrefois on pouvait y croiser des artistes / la technocratie n’épargnera pas le domaine culturel / en attendant la débâcle, comme vous dites, je fais ce qui reste encore possible de faire.

4 - Venons à votre maison d’éditons COLOR GANG, parlons de ses collections. Cinq en total : Chantier, Exercices, Luminaires, têtards, Urgences. Sont-elles reliées par un fils conducteur où chacune suit-elle son chemin propre ?

La collection URGENCES regroupe des textes dont la ligne éditoriale pourrait être d'engager le débat public (Jean-Yves Picq, Perrine Griselin, Claire Rengade, Patrick Dubost, Sébastien Joanniez… ) 
La collection EXERCICES regroupe des textes de pratique théâtrale à destination des établissements scolaires, des conservatoires… Petites Pièces à géométrie variable contient des extraits des pièces de Jean-Yves Picq ainsi qu'un texte intégral : Donc. Dans ces pièces le texte n'est pas toujours associé à des rôles précis. Leur géométrie est variable car ils peuvent être joués à 2, à 3 comme à 15… Petites Pièces à pupitre contient de courts textes à pratiquer de Jean-Yves Picq. Les deux titres de Sylvain Renard Allô et Haut Débit destinées aux adolescents font également partie de cette collection. Allô est recensée dans un manuel scolaire (français, livre unique, 4ème, éditions Nathan).La collection LUMINAIRES rassemble les textes poétiques (Samira Negrouche, Enan Burgos, Michel Thion, Brigitte Baumié, Pierre Soletti…), TETARDS les textes jeune public et enfin CHANTIER tout le reste, l’inclassable… Au regard de ces critères les textes d'un même auteur peuvent se retrouver dans l'une ou dans l'autre collection / on peut dire qu'elles fonctionnent comme des tiroirs / un système de classement.

5 - Votre maison d’édition COLOR GANG, depuis ses aurores, a été connue par son esprit de découverte, son engagement vis-à vis des auteurs jeunes ou peu connus du grand public, éloignés de chapelles et de tendances à la mode… Depuis, certains sont devenus célèbres sur la scène poétique en France, je pense en particulier à Patrick Dubost. J’ai pu constater également, la récente publication dans la collection "Luminaires", d’un poème du poète franco-libanais Salah Stétié : Eros gramophone, une des voix vives les plus connues du paysage hexagonal et international de la poésie… Une question me taraude, la présence d’un tel nom dans votre catalogue est-elle le signe d’une nouvelle ère qui s’ouvre pour COLOR GANG, ou bien le symptôme d’un certain assagissement ?

La fabrication d’Eros Gramophone m’a été proposée par Enan Burgos qui avait envisagé avec Salah Stétié la publication du texte accompagné de ses peintures originales / j’en ai tout simplement assuré l’édition et la réalisation en typographie / Color Gang se promène, fait des rencontres en chemin… / au hasard de ces rencontres un nouveau nom vient s'inscrire au catalogue / mais ça reste rare / avec une dizaine de textes de Jean-Yves Picq, six de Claire Rengade, un septième en cours de Perrine Griselin, cinq de Patrick Dubost, trois de Sylvain Renard, trois de Michel Thion etc, je pense accompagner avec fidélité quelques auteurs que j'aime bien / j'ai l'impression que la route de Color Gang reste droite / tout le reste n'a pas grande importance…


Compléments :

- le site personnel d'Yves Olry

- le site des éditions Color Gang