Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 12 mars 2011

Mémoire & Poésie

Laure Dino dont on a pu lire un poème inédit en ce début d'année, m'a fait l'amitié d'une lecture de mon livre Mémoire sans tain paru en décembre 2009.




Mémoire sans tain, qui retrace le parcours poétique de Jean-Luc Pouliquen, des années 1982 à 2002, est un titre qui d’emblée réveille notre imaginaire.

Il nous faut écailler ce tain, pour contempler la beauté cachée du monde. Il nous faut rappeler les mots, pour écrire l’amour enfoui dans la mémoire. Alors du miroir de l’ego brisé, apparaît la mémoire du monde, l’identité collective de l’être, la création originelle. Et du cristal retrouvé, transparaît un diamant qui capte et reflète la lumière, sans barrières.

Jean-Luc Pouliquen est un poète fortement enraciné dans sa terre avec laquelle il entretient un lien charnel et magique. La nature parle un langage secret, à travers les oiseaux, les pierres, les fleurs, que le poète déchiffre et retranscrit. Il parle au pays avec des mots doux : "Vieux pays/ exilé de toi-même/ tu as pris le maquis/...il faut pour t’approcher/ bruire comme une fontaine/ et plonger ses deux mains/ dans un buisson de thym..." (Cœur Absolu, Vieux Pays, p. 61,). Il arpente les chemins comme un simple berger, pour retrouver son cœur d’enfant, et plus profondément, purifier l’âme : "Tenir dans sa main/ taillé comme un bijou antique/ le cristal de son histoire/ puis refermer ses doigts/ pour en préserver l’éclat/ aussi pur/ que son enfance"(Mémoire sans tain, Tenir dans sa main, p. 62).

À travers l’écriture, il transmet la source de l’encre, qui jaillit du ruisseau. Plus qu’un écrivain, Jean-Luc Pouliquen est un ethnologue des mots, qui incruste les phrases sur la page comme des racines entre les êtres.

Un rapport particulier le lie avec la Provence. Une Provence entre ombres et lumières, anges et démons, vivante et vibrante comme un être de chair. Il saisit la lumière du mimosa et le mimosa devient l’image même du soleil de la Provence (En attendant la grâce, Mimosa, p. 125), et "la ville se couvre/ d’un crépi de lavande" (Mémoire sans tain, Il faut laisser l’enfance, p. 31). Mais le poète joue aussi avec les ombres, "le goudron fumant", le mazout, la fumée, "les jardinières de béton", comme avec des pierres noires, qu’il frotte à ses pierres blanches, tels deux silex, pour allumer le feu des poèmes.

Cette Provence que représente le "vieux pays" est peut-être pour l’auteur le pays perdu, ou plus encore, l’origine même, le paradis perdu. Mais comme "l’oiseau de feu du Garlaban", elle peut renaître de ses cendres et devenir alors l’Eve de l’Eden, la terre si parfaite qu’elle reflète le ciel et s’unit à lui. Reportons-nous à ces phrases : "Rien sur vos itinéraires/ pour conduire/ à la sourde vibration des pierres/ au mariage avec l’univers/ dans sa nudité originelle" (Être là, Itinéraires, p. 93).

Le poète cherche l’or des origines, à travers les éléments, le feu, l’eau, la terre et l’air. Et l’origine qu’il trouve est une matière fécondante, "une matrice brûlante" (Oh ! pesanteurs terrestres/ matrice brûlante/ de l’éternel - Être là, p. 111,) dans le berceau de laquelle l’homme pourrait renaître. Renaître en s’enfonçant dans l’univers, s’immergeant dans l’infini, comme on plonge dans l’océan. En réalisant cette fusion, ce retour, le poète devient la terre : "Je ne suis plus de chair/ mais d’écorce et de cistes/ d’eucalyptus et d’écume" (Être là, Un bain de nature, p. 114).

Ce faisant il réalise un mélange, un alliage, une alchimie secrète avec les éléments, qui au fil du temps, le transforme. Comme si la terre avait le pouvoir de modeler encore l’homme. Alors, il se laisse sculpter, brûler par les pouvoirs secrets de la magie blanche, de "l’incandescence de la terre" (Cœur absolu, p. 57, Compagnonnage : "Demeure la louange/ pour le Dieu qui le comble/ et donne à ses paroles/ l’incandescence de la terre").

Nous remarquons également dans les poésies de Jean-Luc Pouliquen, une qualité essentielle - au-delà de la diversité des thèmes - qui est l’humilité. Les mots brillent de l’éclat de la simplicité. Il semble que le poète les dépose doucement, sans les brusquer, sur une nappe en papier, et nous les offre, tels des présents. Dans ce geste, il y a comme un pouvoir guérisseur de la poésie, et le désir de ne pas briser un enchantement secret.

Une façon d’appréhender le monde, de trouver le mot juste, d'être là comme un des territoires de la terre immense, qui rallie, réunit, fédère les hommes, car désunis, ils sont un "soleil déchiré" (Peuples du monde, p. 126,).

D’être là encore, comme une "particule de l’humanité vivante… séparé, tendu, vers l’ultime fusion" (p. 119).

Laure Dino



Complément :

- le livre sur le site de l'éditeur

6 commentaires:

  1. Un bien bel hommage rendu au poète et à l'homme et un témoignage émouvant de la beauté de son oeuvre. Merci à Laure Dino d'avoir su exprimer si magnifiquement notre ressenti à la lecture des superbes poésies de Jean-Luc Pouliquen.

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  2. michèle serre18 mars 2011 à 23:02

    Commentaire subtil qui prend en compte le parcours poétique de Jean-Luc, les différents moments qui l'éclairent et ses affinités électives, rejoignant par là François Dagognet dont la certitude est qu'une rêverie active a du pouvoir sur notre manière d'être. Cette démarche est essentielle si nous voulons à la fois retrouver le vieux pays mais aussi la nouveauté du monde.

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  3. Il n'y a pas très longtemps, j'ai relu avec attention Mémoire sans tain, et j'apprécie d'autant mieux aujourd'hui le beau texte de Laure Dino. Oui, la poésie vraie détient un pouvoir de guérison. Un poète (dans le meilleur sens du terme) a souvent quelque chose du "chaman". La poésie est (aussi) une énergie bienfaisante qui passe à travers lui et parle de plus profond que l'égo socialisé. Un langage en perpétuelle création. Vers la présence au monde.
    MICHEL CAPMAL

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  4. j'ai enfin pu lire "mémoire sans tain"
    j'ai beaucoup aimé cette simplicité qui rehausse la beauté des mots et ce regard ,cette humanité
    c'est le genre de poésie que j'aime et que je relie souvent

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  5. La poésie soigne t elle les maux?
    cette célébration de la nature s élève comme une prière un cantique.
    Merci à Jean-Luc Pouliquen ç'est très beau.!

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  6. Jean-Luc Pouliquen écrit avec la pointe de son âme : noblesse, humilité. Sa poésie épurée va à l'essentiel, est prière, méditation, elle nous emmène sur les hauteurs de notre Etre en nous ramenant à la présence pure. La poésie guérit-elle ? Je ne sais pas mais la Beauté console et c'est bien. Merci aux poètes pour ce qu'ils nous donnent à vivre.
    Andrée Fialip

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