Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 26 mai 2012

Les Mots et les images d'Estève Salendres

Après avoir rendu hommage à Max Rouquette, nous poursuivons aujourd'hui avec Estève Salendres. Nous montrons ainsi que la poésie en langue d'Oc continue sa course, à la fois dans une fidélité et une reconnaissance aux générations anciennes, et en même temps dans une volonté de renouvellement. Représentant de la jeune génération, il est né en 1978, Estève Salendres participera en juillet prochain au festival Voix Vives de Sète. Par sa présence, il permettra donc une approche des plus directes, des préoccupations et des expressions de la nouvelle poésie occitane. Voici en attendant, extrait de son recueil Camin descaminat / Chemin égaré, un poème dédié à son fils complété par une de ses œuvres picturales .


Dintre mas mans

Mende, lo 15 de genièr de 2007.


A Juli, mon filh



Dintre mas mans aflaquidas de paur
Lo copet tieu aisidament
A sauput prene plaça
Lo pes leugièr de l’existéncia
Lo doç velós a rescaufat ma pèl
Jalada dempuèi de sègles
Per una mòrt prevista,
Los nívols ara
An del solelh la color
Del fuòc, l’etèrna calor
Lo freg tanben me caufa l’esquina
E la pluèja fa beluguejar mos uèlhs paurucats,
Las mai afrosas bèstias
Que dempuèi d’annadas me rosigavan lo ventre
Son devengudas d’amigas
Que calinhejas de ton rire infinit,
Sus mon camin las pèiras ponchudas
An daissat plaça a l’èrba verda e mofla
Ont mos pas an plaser de se pausar,
Lo bosin de la vida es devengut musica
E mos desvelhs de temps per t’agachar
Ton buf caud al cròs de mon aurelha
Sembla paraulas per rescalorir mon arma
Tos uèlhs dubèrts e candes
M’agachan simplament.
Sèm aquí, dos, al mitan del mond,
Vius.


Estève SALENDRES.


A Jules, mon fils,

Entre mes mains affaiblies par la peur / ta nuque sans effort / a su prendre place / Le poids léger de l’existence / le doux velours a réchauffé ma peau / gelée depuis des siècles / par une mort annoncée, / les nuages maintenant / ont, du soleil la couleur / du feu l'éternelle chaleur / Le froid lui aussi me réchauffe l'échine / et la pluie fait étinceler mes yeux effarés / Les plus affreuses bêtes / qui depuis des années me rongeaient le ventre / sont devenues des amies / que tu cajoles avec ton rire infini / Sur mon chemin les pierres pointues / ont laissé place à l’herbe verte et souple / où mes pas se plaisent à se poser / Le tumulte de la vie est devenu musique / et mes insomnies du temps pour te regarder, / ton souffle chaud au creux de mon oreille / semble paroles pour redonner chaleur à mon âme, / tes yeux ouverts et limpides / me regardent en toute simplicité. / Nous sommes ici tous deux, au milieu du monde, / vivants.




Complément :

- Camin descaminat aux éditions Jorn.

samedi 19 mai 2012

Max Rouquette parmi nous

Nous continuons aujourd'hui à dérouler le fil de la poésie occitane avec la présentation du numéro 5 des Cahiers Max Rouquette qui nous donne l'occasion de rendre hommage à ce grand poète toujours présent parmi nous.

Dirigés par Jean-Guilhem Rouquette, ces cahiers publiés par l'Amistats Max Rouquette, présidée par Jean-Frédéric Brun, ne cessent de parution en parution, de nous faire mesurer l'importance et l'universalité de celui qui nous a quitté en 2005, dans sa 97ème année.
Ce numéro en est une nouvelle illustration par son riche contenu qui n'oublie pas les amis et les interlocuteurs de l'auteur de Vert paradis. Il commence par une évocation d'Elena Gracia, récemment disparue, qui fut dès 1947, une militante ardente de la cause occitane. Il rappelle aussi le souvenir de Tenneke Ubbink qui traduisit Vert paradis en néerlandais. Il se poursuit par la présentation des oeuvres de Federico Garcia Lorca que Max Rouquette avait traduites en occitan et que Letras d'oc vient de publier à Toulouse.
Les publications concernant Max Rouquette se suivent à un rythme impressionnant. Quatre pages sont consacrées à son roman Mièja-Gauta (Demie-face) édité par les éditions Tabucaïre de Perpignan. Est ensuite présenté le livre collectif dirigé par Philippe Gardy et Marie-Jeanne Verny intitulé Max Rouquette et le renouveau de la poésie occitane (1930-1960).
Nous retiendrons également de ce numéro les dossiers consacrés aux relations de Max Rouquette avec Sully-André Peyre, Ismaël Girard, Frédéric-Jacques Temple et encore Roland Pécout. Sur trois générations, celle qui l'a précédée, la sienne et celle qui lui succède, nous voyons le poète dessiner un parcours à la fois ouvert aux autres et singulier.
Ce que nous dit Françoise Wyatt de Max Rouquette, lecteur de Faulkner nous montre à quel point sa manière de parler du Sud n'avait rien d'enfermant. Ses poèmes traduits en arabe par Mustapha Azouz Jemli et publiés à la fin du cahier, sont une autre façon de nous le faire savoir.
Un texte inédit Lo semafòra del Cap-Bon termine ce numéro, comme une invitation à se replonger dans son œuvre. On aura pris soin de rappeler un peu avant que son volet théâtral, avec Médée en particulier, continue de voyager à travers le monde.

Complément :
- le site des Amis de Max Rouquette


samedi 12 mai 2012

Zodiaque en pays d'Oc - IV

Il y a eu de fait trois étapes dans l'écriture de cet ensemble. La première partie en commun a permis à proprement parler d'amorcer l'écrire. La dernière, collective à nouveau, était nécessaire afin de venir à bout des textes manquants – et ça a été de loin le moment le plus ardu de l'expérience pour les élèves et le maître (le temps de l'école n'est pas toujours le temps de la création !). Par chance, la qualité des premiers textes obtenus par le groupe, tout comme le plaisir éprouvé à les réaliser, a conditionné l'aboutissement du projet.

Pour les cinq élèves de 5ème, la seconde phase, plus personnelle, pouvait alors commencer. D'approfondissement en approfondissement, cette aventure individuelle allait emprunter des chemins de langue propres à chacun. Pour l'un ce fût la piste des trésors du dictionnaire. Pour une autre, la piste de la transmission orale, à travers l'échange entre une petite fille et son grand-père. Certains n’ont pas rechigné à proposer leur premier jet à une relecture collective assortie de conseils. Le maître lui-même ne peut renier qu’il y est allé de ses remarques, à la demande, avec sa sensibilité propre. Enfin, il a fallu se confronter à l’épreuve de la traduction. Rendre en français l’original occitan fût pour chaque auteur un véritable exercice de bilinguisme appliqué.

Voici donc notre dernière livraison : « Lo banarut », de Quentin, « L'aqüari », de Camilla e « Los peis », de Jaufre – créations personnelles pour le verseau comme pour les poissons, le capricorne étant le dernier texte du groupe.

Frédéric Figeac

 
Lo banarut

Una nuèit de plena luna
Pesquèri io un banarut

Voliái pas çaquelai pescar cap de bestiassa
Voliái empantenar una serena

Pecaire !
Quand me pensavi peltirar ma femna d’aiga
Quò èra pas que barba
Barba de boc

E tan bialava la bestiassa
Tan coetejava
Que la daissèri cabussar
Prigond prigond dins la nuèit del pesquièr

E sens serena me’n tornèri


Le Capricorne


Une nuit de pleine lune
Moi j’ai pêché un capricorne

Et pourtant je ne voulais pas pêcher de grosse bête
Je voulais seulement prendre au filet une sirène

Hélas !
Moi qui croyais tirer ma femme d’eau par les cheveux
Et ce n’était que barbe
Barbe de bouc

Et tant bêlait la bête
Et tant elle frétillait
Je l’ai laissée plonger
Au plus profond de la nuit de la mare

Et m’en suis tourné sans sirène
 
L’aqüari

Engaitatz la polida
Coma liura son fais

Son aquí nòstres sòmis
Agrumelats a fons de jarra
Dins las mans de la fada
De l’esper escampat

E del riu de la nuèit monta un rosal d’estelas


Le verseau

Regardez donc la belle
Qui vide son fardeau

C’est là que sont nos songes
Blottis à fond de jarre
Dans les mains de la fée
De l’espoir épanché

Et du fleuve de la nuit monte une rosée d’étoiles


Los peis

Ondada. Los peis nadan dins un cèl d’escruma. E nada que nadaràs, nadarèla, nadarèla.

Ondada. los peis an pescat lo solelh. L’an pescat sus sas escaumas.

Ondada. 8 ! L’arcolan s’es plegat e vira pels remolins. 8 ! E dança que dançaràs, nadarèla, nadarèla.


Les poissons

Vaguelette. Les poissons nagent dans un ciel d’écume. Et nage, nage donc, nageoire, nageoire.

Vaguelette. Les poissons ont pêché le soleil. Ils l’ont pêché sur leurs écailles.

Vaguelette. 8 ! L’arc en ciel s’est plié et tournoie dans les remous. 8 ! Et danse, danse donc, nageoire, nageoire.

samedi 5 mai 2012

Zodiaque en pays d'Oc - III

L'année de 6ème s'est achevée avec l'exposition de douze enluminures sur bois présentant comme un air de famille (la technique choisie n'y est pas étrangère). Dès la rentrée, les 5èmes décident de rebondir sur les tableaux. Tout au long de leur fabrication, nous avions consigné les impressions et les digressions qu'ils inspiraient aux artistes : des mots, des phrases, des images... une parole à l'état brut s'offre ainsi aux élèves. Mais qu'en faire ?

Tout commence par une lecture de textes en classe, sur le thème des animaux. Au-delà des morceaux choisis du manuel de langue – et de la découverte de poètes et de dialectes divers – l'interprétation du « Sabaud » (le crapaud) de Max Rouquette débouche sur la présentation du recueil « Bestiari », dans lequel la faune familière côtoie des êtres fantastiques. Il est alors décidé de rendre hommage au monde du poète ; un texte pour chaque signe du zodiaque. Parallèlement à l'exploration des pistes poétiques, nous essayons de dégager des critères qui nous serviront de règles : recherche lexicale, jeu sur l'épaisseur de certains mots, rôle des reprises, exploration des sonorités, variations dans le rythme... Le travail est d'abord collectif (certains camarades de 6ème ne faisant plus partie du groupe, il y a des images orphelines). Heureusement, deux textes prennent forme assez rapidement : « Lo lion », puis « La vèrge ».

Ce miracle sera plus difficile à renouveler par la suite, mais la série est lancée. Découvrez notre troisième livraison : « La balança », de Remèsi, « L'escorpion », de Tomàs e « Lo sagitari », de Maxime. Le scorpion est écrit par l'auteur du tableau ; les deux autres poèmes sont des œuvres collectives.

Frédéric Figeac

La Balança

Balin balan
Quò’s lo branle de la balança

Balin balan
Quand sèi urós dança
L’ora d’après desesperança

Balin balan
Coma li far fisança
A la balança ?


La Balance

Balin balan
C’est le branle de la balance

Balin balan
Quand je suis heureux elle danse
L’heure d’après désespérance

Balin balan
Comment lui faire confiance
A la balance ?

L'escorpion

Cap de bruch cap de bruch
Negre entremièg çò negre
Cap de bruch l'escorpion
A l'espèra se carboniza

Glop per glop
L'aiga de mòrt dins la cornuda
Glop per glop
La poison de l'eternitat

Un jorn d’òrra solesa
Se sagatarà d’esperel

Alavetz cap de bruch
Cap de bruch farà jamai pus


Le scorpion

Aucun bruit aucun bruit
Noir au milieu du noir
Aucun bruit le scorpion
Aux aguets se carbonise

Goutte à goutte
L’eau de mort dans la cornue
Goutte à goutte
Le poison de l’éternité

Un jour d’horrible solitude
Il se poignardera lui même

Alors aucun bruit
Il ne fera jamais plus aucun bruit


Lo Sagitari

Mitat caval e mitat òme
L’avètz pas vist al Sagitari ?

Digun l’a pas vist empr’aquí a galaupar ?
Digun l’a pas ausit cantar ?

Mitat òme e mitat caval
L’avètz pas vist devath la luna s’encabrar ?

Io sabi ben
Que cada rag d’estela
Disparat dins l’escur
Es una sageta de lutz

Una sageta
Del sagitari


Le Sagittaire

Moitié cheval et moitié homme
Vous n’avez pas donc vu le sagittaire ?

Personne ne l’a vu galoper par chez nous ?
Personne ne l’a entendu chanter ?

Moitié homme et moitié cheval
Vous ne l’avez pas vu se cabrer sous la lune ?

Je sais bien moi
Que chaque jet d’étoile
Décoché dans le noir
Est une flèche de lumière

Une flèche
Du sagittaire