Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 16 février 2013

Un bout de chemin avec Philippe Blondeau - III

 "Les poèmes qui suivent ont été écrits entre 2006 et 2010, non sans peine(s) parfois, comme on pourra le deviner ici ou là. Ils font suite à un précédent livre intitulé Décimales , dont ils constituent à la fois un prolongement et un contrepoids. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’un relevé d’images au sens où le langage poétique a ce pouvoir particulier de dessiner du réel non ce que l’on en voit, mais ce que l’on en comprend. Le regard, toutefois, a un peu changé : moins distant, il aspire souvent à voir les choses de l’intérieur, d’où un balancement entre le dehors et le dedans qui conduit à une structure en échos ou en résonances. Autant Décimales, forme de classement, était régulier et mesuré avec un soin presque maniaque, autant Du genre humain est volontairement bancal ou décalé, dans la forme et dans le ton." écrit l'auteur en ouverture de ce recueil.


PROVINCE FIN DE SIÈCLE

Le Santa-Cruz était en feu
des adolescents ivres couraient le long des voies
une femme avait péri sous des coups
le siècle finissait comme un poème évasif.
Place de la Mairie on brûlait les poubelles
à des milliers de kilomètres des astronautes conversaient
   avec l’infini
des couples parfaitement laids s’ébattaient
avec aigreur et discrétion dans des chambres surfaites
personne, jamais personne
ne devait se souvenir de ces quelques détails
du premier jour d’un millénaire sans franchise.

HUMANITÉ DES BÊTES

quand meurt une de nos bêtes
    son ombre
reste tassée sur un coussin
    bien en rond
nous laissant tout encombré
    de notre humanité inutile
alors seulement nous savons
    combien sont communs les ruisseaux du sang
agrémenté de cellules joyeuses ou folles
— lorsque nous mourons
    qu’advient-il de nos bêtes
qui ne reconnaissent plus notre ombre
    dressée le soir contre l’absence
comme une échelle contre un mur
et qui crient
dans un bruyant chahut d’âme
    leur fidélité vorace
à notre humanité disjointe ?

COMPLAINTE

J’aurais été dans les années soixante
un artisan honnête
plein du souci de ses outils et de son geste ;
des femmes auraient raclé du talon
les pavés d’une ruelle proche
où l’on entend des tourterelles
j’aurais dans ma journée fait métier
d’honorer la matière par les coups et les vis
j’aurais été déjà ce jeune homme
qui regarde aujourd’hui dans un monde à peine changé
le profil scrupuleux d’une adolescente aimante et sévère
aux oreilles agiles comme des ailes
— au soir dans les cafés
on aurait évoqué de mémoire
les rares automobiles de la journée.

FEMME À L’ENFANT FUTUR

Devant une mairie faiblement pavoisée
seule sur la place la jeune femme
tout soudainement existe ;
l’enfant auquel elle ne pense pas
flotte pourtant devant elle comme une bulle
aussi certain que l’avenir sans complication
marqué en beige par sa silhouette dans l’espace.

Comme si elle enjambait son ombre
elle marche vite et ferme car
elle ne plaisante pas avec sa vie
le soleil nouveau-né s’élève sans difficulté
dans le carré du jour
tout a un sens
comme si Dieu passait la tête à la portière.

La justesse d’une image
dépend du doigté de la lumière
qui nous surpasse et nous devance
tellement qu’on est heureux parfois
que d’autres vivent à notre place.

Philippe Blondeau

Complément :
- Une lecture du livre par Lucien Wasselin

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