Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 30 août 2014

Les Cahiers de Garlaban - XVIII

Il y a tout juste dix ans, en août 2004, Lucienne Desnoues nous quittait. Le 3 novembre 1992 Les Cahiers de Garlaban publiaient ses Fantaisies autour du trèfle. L'édition de ce recueil avait été précédée par une visite à Montjustin, ce petit village de Haute-Provence où Lucienne Desnoues s'était retirée après que son mari Jean Mogin, le fils de Norge, ait pris sa retraite. Tous les deux habitaient jusque-là Bruxelles. Mais Montjustin était un point d'ancrage ancien puisque dès les années cinquante le couple y venait passer ses vacances dans la petite maison que leur avait offerte Lucien Jacques, l'ami de Jean Giono. C'est Serge Fiorio, cousin du grand écrivain de Manosque, et habitant de Montjustin, qui se chargea d'ailleurs de l'illustration de la couverture de ce recueil que nous avions présenté ainsi :


A qui reproche à la poésie de s'éloigner de ses origines qui la voulaient mémorable et ancrée dans le peuple, on ne saurait que trop conseiller la lecture de Lucienne Desnoues. Son œuvre, succulente et sensible - que Colette salua à son avènement avec la parution en 1947 de Jardin délivré - apporte ce poids concret du monde qui nous force à le regarder de près et à vérifier, en inversant deux mots du fameux vers de Péguy, que le charnel est lui-même spirituel. Avec Fantaisies autour du trèfle, Lucienne Desnoues nous restitue un aspect un peu délaissé de l'écrit poétique et nous rappelle qu'il peut être jonglerie, humour, jeux dont la gratuité n'est qu'apparente puisque souriantes complicités, escarmouches amoureuses avec le langage. Et le langage n'est-il pas le compagnon le moins futile et le plus stupéfiant que l'homme se soit, par lui-même, créé ?

Plusieurs pages du recueil reproduisaient l'écriture de Lucienne Desnoues, par exemple celle-ci concernant une des trois anagrammes du mot "trèfle"  retenues par l'auteur :


Complément :




samedi 23 août 2014

Les Cahiers de Garlaban - XVII

En mai 1992 paraissait Cellula 13, en version bilingue, français/occitan de Ives Rouquette. Le recueil contenait 72 pages, la couverture était de Jacques Bringuier qui avait également illustré les pages intérieures. Il commençait par cette note de l'auteur qui en expliquait la genèse :


Je dois à Bernard Tournois d'avoir pu passer en 1984-1985 une année de vacances, aux frais du ministère de la culture, à la Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon en qualité d'écrivain résident. En vérité, j'ai bien peu résidé dans la Cellule n°13 où m'avaient précédé m'a-t-on dit Bernard Noël et Claude Gaignebet. Tout au plus, en un an, y aurai-je passé une douzaine de nuits. J'y ai tenu, tout à fait en marge, d'autres travaux, une espèce de journal de bord dont sont extraits les textes suivants.

En voici un extrait :
……
4. Al potz en cairat de la clastra vièlha, quand
lo lum es mai tombat drech sus las doas ròsas
en boton de ma fenèstra, al gèl crespadas,
me soi sarrat del potz.

Sus l’aiga del ferrat pausat
al pè del peiral
aviái vist un visatge tremblar.

E ai pensat qu’éra lo meu
de davant las lagremas,
mos uèlhs de sord
en fàcia del lièch voide
de la platja sens fin dels lençòls.

Mas èra sa boca, a ela,
nuda, palla, longa, longa,
éran sos pòts
que lo plaser regurça
per de crits entre dos nonres.

« Ò, brutla-me, neteja-me !
Passa mos pòts al cremat de ta lenga !
Diga-me las paraulas que sauvan !
Ensnha-me a aimar qual me vòl ! »

I aviá pas pus dejà sus l’aiga planièra
que lo cèl voide,
las muralhas quilhadas
d’una cort en cairat,
lo silenci blanc de dètz oras.


…..
4. Au puits carré de l’ancien cloître, quand
la lumière est tombée droite sur les deux roses
en bouton de ma fenêtre au gel crispées,
je me suis approché du puits.

Sur l’eau du seau posé
au pied de la margelle
j’avais vu un visage trembler.

J’ai cru le mien
d’avant les larmes
mes yeux de sourd
face au lit vide,
à la plage infinie des draps.

C’était sa bouche à elle
nue, pâle et longue,
c’était ses lèvres
que le plaisir retrousse
pour des cris entre rien et rien.

« Oh : brûle-moi ! Oh ! nettoie-moi !
passe ma langue au tison de ta langue !
Enseigne-moi les mots qui sauvent !
Apprends-moi à aimer qui me veut ! »

Déjà il n’y avait plus sur l’eau plate
que le ciel vide,
les murs dressés
d’une cour en carré,
le silence blanc de dix heures.


samedi 16 août 2014

Les Cahiers de Garlaban - XVI

Le 15 janvier 1992, Les Cahiers de Garlaban publiaient mon recueil Être là. L'illustration de couverture était pour l'occasion confiée à l'artiste toulonnaise Renée Mangot. En quatrième de couverture  était imprimé ces quelques lignes :


Après Mémoire sans tain et Cœur absolu,  voici le troisième volet d'une écriture que l'auteur continue d'enraciner dans son expérience quotidienne. Attentes, espoirs, révoltes, contemplations, interrogations, joies... ce qui est ressenti au travers des différents moments de l'existence, n'a-t-il pas pour effet de nous révéler un plus à nous-mêmes ? Et si, nous connaissant mieux, nous en trouvions un goût accru de vivre, d'être là, plus présent encore au monde dans son mouvement inédit.

samedi 9 août 2014

Les Cahiers de Garlaban - XV

Le propos des Cahiers de Garlaban concernant les poètes de langue d'oc était de dépasser les querelles de graphies et de chapelles pour réunir des poètes ayant le même souci d'authenticité et d'universalité dans leur œuvre. Nous pensions que la force et le souffle contenus dans leur poésie devaient permettre de dépasser des clivages qui  n'avaient dès lors  plus lieu d'être. C'est ainsi qu'après Serge Bec nous avons édité Fernand Moutet rattaché à la mouvance mistralienne. Ce dernier a fait récemment l'objet d'un hommage dans ce blog et l'on s'y reportera pour mieux le connaître. Le recueil de lui que nous avons publié le 10 octobre 1991 s'intitulait Li car-marino de moun reiaume/Les méduses de mon royaume. Voici comment nous le présentions en quatrième de couverture :


"Toute la poésie de Fernand Moutet est un grand chant d'amour terrestre", nous dit André Resplandin en ouverture de ce recueil. Il montre plus loin la fascination du poète pour l'eau et ses rêves de voyage et conclut que chacun de ses poèmes est "une offrande, une invitation".

Nous voici donc prêts pour aborder de nouveaux rivages de l’œuvre de Fernand Moutet, plus précisément du côté de l’Étang de Berre. Là où les méduses de son enfance ont permis à l'auteur d'approcher le mystère du monde.

"Un rêve doit rester un rêve si l'on veut qu'il embellisse toute une vie", affirme Fernand Moutet dès le début ; et plus loin il ajoute : "La beauté est aussi nécessaire que le pain, et le sel, et l'eau de la cruche."

Ainsi nous sont offertes les clefs de son royaume. A nous maintenant d'y entrer les sens et le cœur grand ouverts.

samedi 2 août 2014

Les Cahiers de Garlaban - XIV

Le mois d'août est l'occasion pour ce blog de présenter les publications des Cahiers de Garlaban. Voici donc comme l'an dernier les quatre parutions de poésie qui ont fait suite à celles que nous avons montrées précédemment. Commençons par Sesoun de Guerro de Serge Bec paru le 31 juillet 1991. Écrit durant la guerre du golfe, ce recueil de 88 pages avait eu à l'époque un certain retentissement et avait reçu le prix Antigone 1992 de langue d'Oc de la ville de Montpellier. Parmi les membres du jury se trouvaient Frédéric-Jacques Temple, Pierre Toreille, Marie Rouanet, Jean Joubert, Robert Lafont ou encore Yves Berger. Voici le texte que nous avions écrit en quatrième de couverture pour présenter la publication :


     Depuis Memoria de la carn écrit pendant son service militaire en Algérie, Serge Bec nous a montré qu'un versant de son œuvre, et non le moindre, avait partie liée avec les tragédies de notre histoire collective.

     On se souvient de sa Balada pèr Lili Fong en réponse à l'horreur de la guerre du Viet-Nam. Voici aujourd'hui Sesoun de Guerro qui rassemble des poèmes écrits sur fond de guerre du golfe.

     Serge Bec, n'en doutons pas, aurait préféré se passer de cet épisode absurde et honteux pour l'humanité. Depuis le temps qu'il en appelle à la tolérance, à l'amitié entre les peuples, qu'il témoigne de ce que Robert Lafont a défini comme "l'exigence morale rigoureuse du surréalisme", le poète aurait pu espérer une fin de siècle plus prometteuse.

     Mais reste pour lui l'amour en qui il croit encore, celui exprimé pour sa femme en premier lieu, puis celui de son Luberon par lequel il participe au mouvement du monde, et du cosmos.

     Cet amour célébré dans sa langue première, en accord foncier avec la dynamique de son existence, généreuse et interrogative.


Quatre dessins du peintre René Métayer  ont illustré ce recueil que Serge Bec a ouvert par un avant-propos dans lequel il rappelait que pour lui la poésie en langue d'oc était avant tout une poésie de création à vocation universelle.